Las Vegas, qui entremêle fun et autorité, veut sincèrement réaliser les aspirations de tout un chacun.
Son diktat n'est autre que notre bonheur, dans la stricte mesure
où ce dernier maintient en l'état la marche de l'économie.

Ses velléités sont louables, on peut même penser que le néocapitalisme nomade et jovial
réussira dans son entreprise sociale de satisfaire tout le monde, même les désirs
en apparence les moins susceptibles d'être assouvis par le système marchand.
La limite de l'artificiel et du naturel est mince lorsque la répétition quotidienne transforme
le premier dans le second. Je ne doute aucunement de la sincérité de Las Vegas,
je la remercie même de sa franchise finalement bon enfant qui mise tout sur la combinaison du pouvoir,
de l'argent et du divertissement, pourvu que les affaires continuent.
Tandis que les esprits chagrins chicanent et pestent, elle s'ingénie à réaliser des palais tape-à-l'oil,
des labyrinthes mordorés et des galeries féeriques à cinq cents.
A quand un hôtel-casino de l'esprit critique et de la subversion sociale ?
Les groupes désordonnés qui défilent devant moi n'ont cure de mes moues dubitatives,
ils voudraient que je leur renvoie le sourire éclatant et définitif de l'admission du réel tel qu'il est,
de la jouissance sans retenue de ce qui va de soi. Je ne suis pas loin de fléchir.
Mais, au bout de l'allée souterraine qui mène au parking du New York New York, la mine défaite d'une petite vieille qui fouille dans ses poches pour retrouver ses clefs de voiture et fait tomber un carnet de coupons de réduction me retient de basculer dans la fausse satisfaction de mes faux besoins.
Le charme de l'artifice amassé dans les décors loufoques et dans le mode de vie irréel
s'est subitement brisé et le retour au monde quotidien s'effectue sans le moindre ménagement.
La foule des vaincus passe à côté d'elle sans un regard.
Le teint tonitruant que leur procure l'éclairage paradisiaque du tunnel n'est pas
sans ajouter à leur amnésie collective une touche de résignation heureuse.